The Arab World Geographer
Le géographe du monde arabe

Editorial
(volume 1 no 1, Automne 1998, 1-5) texte en anglais / English text
Cette première livraison du Arab World Geographer (AWG) est un signe de bonne augure pour, d'une part, les géographes arabes, les chercheurs et les étudiants intéressés par cette région, ainsi que pour l'ensemble de la discipline géographique. La revue a l'ambition première de rassembler les chercheurs et collègues intéressés par l'étude d'un vaste espace qui s'étend depuis l'Océan Atlantique au Golfe d'Oman et à l'Océan indo-arabe, et qui représente l'une des régions les plus cohérentes du Monde au plan culturel. Les géographes des pays du Machrek et du Maghreb, ainsi que ceux de la Diaspora arabe, ont maintenant la double possibilité de lire les travaux de leurs collègues et de diffuser leurs propres recherches par le biais d'une langue internationale. Les géographes arabes du Machrek bénéficieront non seulement d'une grande diffusion de leurs travaux grâce à une publication en langue anglaise, mais aussi de la lecture critique par leurs pairs, encourageant de ce fait un enrichissement mutuel.

Par ce forum d'idées mis en place, la revue ambitionne de répondre aux besoins spécifiques des géographes du Monde arabe et de pallier certains contraintes qui freinent la recherche dans quelques pays de la région : l'accès limité aux revues géographiques publiées dans des langues internationales ou le manque total d'un cadre de recherches élémentaire.

Certes, de nombreuses revues de géographie, publiées localement et en langue arabe, sont disponibles sur place ; les Facultés encouragent le personnel enseignant à publier dans leurs propres revues universitaires. Cependant, de nombreux articles de qualité ne sont examinés que par des géographes exclusivement arabophones, voire par des non-géographes, pour paraître ensuite dans une des nombreuses revues multidisciplinaires, omniprésentes dans le Monde arabe. La production géographique est ainsi reléguée au second plan dans le contexte actuel de la mondialisation de la recherche. C'est dans ce cadre que la Arab World Geographer propose une solution au problème en recevant des articles dont la publication en langue anglaise autorise alors l'examen critique de la production scientifique, tout en démultipliant le potentiel d'une évaluation constructive couplée à un enrichissement mutuel.

Les géographes, de même que les départements de géographie des pays arabes du Machrek ont été confrontés des années durant, aux difficultés d'accès aux revues internationales et aux ouvrages récents. Certaines universités ont exigé que la bibliographie de base soit lue directement en langue anglaise ; d'autres travaux ont été traduits en langue arabe. Ainsi, Mohammad S. Makki a traduit l'ouvrage de John Clark Population Geography, en 1984 ; Issa Shair et Abdul-Aziz Al-Sheikh ont traduit, en 1988, la monographie datant de 1959 de Hartshorne Perspective on the Nature of Geography ; l'ouvrage de Mikel Sterns Census from Heaven? Population Estimates with Remote Sensing Techniques a été traduit par Issa Shair and Ismat Al-Hasan en 1993 ; enfin, un volume rassemblant trente-deux articles traduits en arabe, écrits par des géographes allemands et portant sur la géographie du Moyen-Orient, a été publié à Beyrouth durant l'invasion israélienne (Wirth 1983). D'autres exemples pourraient être donnés.

Un indicateur de l'état de la recherche dans le Monde arabe peut être trouvé dans les thèmes proposés pour la conférence régionale de Sanaa, au Yémen, prévue pour novembre 1998, et organisée par l'Université de Sanaa et le Multaqa al-Jughrafiyin al-Arab (Le forum des géographes arabes). L'appel à contribution se base sur trois thèmes majeurs : le rôle des géographes dans la consolidation de l'unité arabe, les programmes d'enseignement et les technologies de la recherche et enfin la géographie et les enjeux du futur.

De nombreux géographes du Monde arabe ressentent la nécessité d'être tenus au courant de la recherche en cours dans les pays industrialisés. Paradoxalement, les géographes du Maghreb, notamment ceux de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc sont plus liés à la France et à la francophonie qu'au Machrek et au monde anglophone. Yahyawi, en 1992, a noté que le français est encore souvent la seconde langue de la région et un moyen important de communication entre chercheurs ; un certain nombre d'auteurs maghrébins préfèrent d'ailleurs publier en langue française, comme le démontre l'exemple de la politique éditoriale de La Revue Tunisienne de Géographie, fondée en 1978.

La Arab World Geographer ne peut proposer une formule magique pour les nombreux collègues francophones travaillant sur le Monde arabe ; comment persuader, par exemple, les 170 géographes français travaillant sur le Monde arabe identifiés par Michael F. Davie de publier en langue anglaise ? Notre revue incitera les chercheurs, venus des pays francophones du Monde arabe ou d'ailleurs, à soumettre leurs articles en langue anglaise.

Le groupe des géographes de la Diaspora arabe est celui qui est directement ciblé par la Arab World Geographer. D'une certaine manière, la AWG est la revue de la dispora pour les géographes du Monde arabe ; d'ailleurs, l'idée de la revue a germé à l'étranger pour être ensuite publiée au Canada. Par ailleurs, plus du tiers des membres arabes ou non-arabes des Comités scientifique et de rédaction résident et travaillent loin de leurs pays d'origine, et leurs contributions sont particulièrement sollicitées. La AWG pourra être alors pour ces nombreux chercheurs éparpillés de par le monde, un espace de discussion et d'échange réciproque.

Les champs d'activité de la AWG sont à la fois régionaux et globaux : la revue ouvre aussi ses pages à des travaux originaux portant sur le monde non-arabe et accueille des contributions théoriques couvrant des domaines plus larges dans la discipline. Ainsi, les migrations népalaises vers l'Inde, le sujet d'une contribution dans cette livraison, intéressera les nombreux géographes qui ont effectué des recherches sur des espaces qui ont connu des phénomènes semblables. Les concepts et notions utilisés dans ce travail pourront être testés et appliqués, par exemple, pour mieux comprendre les migrations de Yéménites vers l'Arabie Saoudite ou la migration de la main-d'œuvre égyptienne vers la vallée du Jourdain ou vers les Émirats Arabes Unis. De même, l'article de Colin Flint sera potentiellement très utile aux chercheurs en géographie politique, au vu des sources et des méthodologies utilisées. Les livraisons futures de la AWG proposeront des travaux sur l'Afrique du Sud de l'après-apartheid, sur les bidonvilles du Bangladesh et du Nigéria, des thèmes qui offrent des analogies avec des situations existant dans le Monde arabe. La dimension comparative est au cœur de la recherche en géographie, une discipline indubitablement à portée internationale.

La revue souhaite souligner, sans ambiguïté qu'elle ne vise pas à légitimer ou à délégitimer des perceptions portées sur les Arabes, sur les Musulmans ou sur leurs espaces. Elle n'a pas d'agenda politique et ne peut réduire le Monde arabe à l'idée simpliste d'être la victime de la domination occidentale ; la réalité est bien plus complexe. Notre point de vue est simple et clair: la géographie du Monde arabe, comme celle de toute autre région du Monde, a ses propres spécificités de lieux et d'identités. L'Islam, en tant que religion et civilisation pèse encore dans le façonnement de la géographie de la région ; la géographie de l'Islam ne peut être réduite et transformée en des construits de pouvoir et de savoir qui s'accommodent des géopolitiques et des intérêts d'autrui.

Nous espérons que l'année 1998 (l'an 1419 de l'Hégire) sera celle qui verra la naissance d'efforts concertés pour lancer la renaissance de la géographie moderne arabe. À l'aube du nouveau millénaire, il est grand temps de dépasser les derniers vestiges d'isolement et de prendre des mesures pour communiquer les résultats de notre recherche à la communauté mondiale, tout en renouant avec l'héritage des géographes arabes du VIIème au XIVème siècles, qui constituèrent l'avant-garde de cette discipline dans le contexte global d'alors.

References

Makki, M. S. 1984. Population geography. Riyadh: Dar al-Marrikh. (Traduction en arabe de John Clarkes 1969 Population geography. Oxford: Pergamon Press).
Shair, I., and Al-Hasan, I. 1993. Census from heaven? Population estimates with remote sensing techniques. Amman: Dar Al-Bashir. (Traduction en arabe de Mikel Sterns 1985 Census from Heaven? Population Estimates with Remote Sensing Techniques. Lund: Lund University).
Shair, I., and Al-Sheikh, A. A. 1988. Perspective on the nature of geography. Riyadh: Dar al-Marrikh. (Traduction en arabe de Richard Hartshornes 1959 Perspective on the nature of geography. Chicago: Association of American Geographers, Monograph 1).
Wirth, E., ed. 1983. German geographical research in the Middle East. Beirut: Arab Institute for Research and Publishing. (en arabe).
Yahyawi. R. 1992. Arabic language and foreign languages in the Maghreb. Al-Wahda  8: 198-204. (en arabe).
 

Acknowledgement
I am grateful to Michael F. Davie for his translation of this editorial.

Ghazi Falah
Directeur de la revue



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Contact: V.D.Mamadouh@frw.uva.nl  |   Last update: 22 October 1999